La parole à Laetitia Cour, actrice de la biodiversité
Laetitia Cour, adjointe au maire de Saint-Aubin-du-Cormier en charge de la biodiversité, de l'alimentation et du développement durable, nous présente la démarche engagée depuis 2018 sur la commune : l'Atlas de la Biodiversité Communale. Prenons-en de la graine !
Association Fête de la Nature : Qu’est-ce qu’un atlas de la biodiversité communale (ABC) ?
Au-delà de l’intérêt pour une meilleure connaissance de la biodiversité locale, l’ABC est selon moi une très belle opportunité pour un territoire de lancer une dynamique, de mobiliser et d’impliquer à la fois les habitant.e.s, les élu.e.s, les associations, les établissements scolaires, les agriculteur.trice.s, les commerçant.e.s et tous les autres acteurs locaux. Un ABC permet d’avancer ensemble pour mieux identifier les enjeux de la biodiversité sur sa commune et d’arriver petit à petit à mieux les intégrer dans les pratiques de gestion et également dans les projets d’aménagement. L’ABC permet d’expérimenter de nouvelles pistes, de nouvelles méthodes et de s’interroger sur les pratiques et les habitudes pour aller plus loin dans la préservation et la valorisation de la biodiversité au niveau local et gagner en cohérence à l’échelle d’un territoire.
Association Fête de la Nature : Quelles ont été les raisons qui vous ont poussé à engager un ABC ?
Dès le début de mon mandat d’élue en 2016 en tant qu’adjointe au maire en charge de l’environnement et du cadre de vie à Saint-Aubin-du-Cormier, j’ai souhaité lancer une dynamique partagée d’éducation à la nature impliquant à la fois les élu.e.s, les habitants, les agriculteur.trice.s, les partenaires associatifs et tous les acteurs du territoire sur la question de la biodiversité ordinaire et d’autre part, systématiser l’intégration des enjeux de biodiversité dans notre politique locale. La commune est dotée d’un patrimoine naturel riche et diversifié relativement bien préservé et nous avons aussi la chance de bénéficier de la proximité avec des structures spécialisées dans le domaine de la biodiversité issues du monde associatif, éducatif, technique et universitaire (Bretagne Vivante, LPO, CD35, Lycée agricole, ONF, Agrocampus Ouest, Rennes 1,…) déjà investies sur le territoire.
Le constat était la difficulté à sensibiliser et à impliquer de nouveaux acteurs, hors des cercles naturalistes et institutionnels.
La municipalité, engagée en faveur de la préservation de l’environnement et de la biodiversité depuis plusieurs années, menait des actions en ce sens mais le constat était la difficulté à sensibiliser et à impliquer de nouveaux acteurs, hors des cercles naturalistes et institutionnels. D’autre part, de nombreux inventaires avaient été réalisés sur plusieurs groupes taxonomiques par différentes structures mais il était nécessaire d’identifier et d’harmoniser toutes ces données naturalistes et de définir un cadre commun d’inventaires et d’intégration de ces données.
Enfin, la révision du plan local d’urbanisme (PLU) communal démarrait en 2017. Anticiper un développement harmonieux et durable de notre territoire nécessitait donc de mieux connaître le patrimoine naturel pour mieux intégrer la biodiversité et ses enjeux dans les futurs projets d’aménagements et donc dans les documents d’urbanisme. L’acquisition de connaissances via l’ABC nous permettrait alors de constituer une réelle aide à la décision dans les enjeux du territoire tels que la prise en compte des habitats et des continuités écologiques (trame verte, trame bleue, trame noire).
C’est dans cet esprit et pour répondre à ces différents objectifs à la fois d’implication citoyenne, de mobilisation des partenaires, d’harmonisation des données et d’acquisition de connaissances naturalistes que l’ABC de Saint-Aubin-du-Cormier a été élaboré. Et c'est grâce à l'accompagnement notamment financier de l'OFB (1er AMI pour les ABC) que la démarche d'ABC a pu démarrer concrètement sur notre commune début 2018.
Association Fête de la Nature : Quels enjeux ont été identifiés concernant la biodiversité du territoire depuis le début de l’ABC ?
La phase de diagnostic a confirmé que la partie Est du territoire communal était relativement connue et bien documentée. Les étudiants du BTS Gestion et Protection de la Nature situé sur ce secteur Est, dans leurs travaux d’apprentissage, réalisent en effet chaque année des inventaires autour de l’établissement sur de nombreux milieux et taxons. Par contre, cette analyse a montré un manque, voire une absence totale, de connaissances naturalistes sur les parties Sud et Ouest du territoire situées de l’autre côté de l’autoroute A84. Ces secteurs sont essentiellement agricoles, cependant les caractéristiques agro-pédologiques du territoire ne permettent pas l’installation de grandes cultures. L’activité agricole se base donc essentiellement sur des systèmes herbagés pérennes ou temporaires, ce qui a permis de préserver jusqu’à ce jour un maillage bocager assez dense. Rapidement, un enjeu a fait surface en termes de connaissance et de préservation du bocage, et parallèlement, de connaissance de ces systèmes herbagés.
En lien avec les pratiques agricoles locales, il est apparu un second enjeu en termes de connaissance et de préservation du réseau de mares qui s’étend sur l’ensemble du territoire, y compris en zone urbaine. Nous avons donc priorisé les actions de l’ABC au regard de ces enjeux. Ainsi, des enquêtes ont été menées auprès des agriculteurs sur leurs pratiques agricoles et un inventaire des vers de terre sur des parcelles agricoles ainsi que sur les espaces verts de la commune a été réalisé.
Un inventaire qualitatif du bocage sur deux zones péri-urbaines a également été mené afin d’évaluer le potentiel écologique des haies situées sur la commune et constitué ainsi une aide à la décision pour des futurs projets et/ou demandes de travaux d’aménagement et/ou d’extension urbaine.
En parallèle, un inventaire quantitatif des masses d’eau a permis de recenser 118 points d’eau bien répartis sur le territoire et s’est complété par un inventaire qualitatif d’un échantillon de mares (botanique, odonates, amphibiens).
Association Fête de la Nature : Quelles actions mettez-vous en place afin d’impliquer concrètement les habitants et les acteurs (implication citoyenne) ?
De nombreuses actions ont vu le jour dans le cadre de cet ABC afin d’impliquer les habitants et les acteurs locaux. Nous avons notamment travaillé avec les associations locales dont le cœur d’activités n’est pas lié à la biodiversité de manière à toucher de nouveaux publics. Ainsi, des projets ont vu le jour avec le bar associatif de la commune (ex. : soirée film débat sur les serpents), l’association de théâtre (réalisations de spectacles de fin d’année sur l’ABC), le comité de jumelage (sortie nature en anglais), le cinéma (plusieurs soirées film débat sur le blaireau, sur les arbres,…), une sortie nature en langue des signes pour accueillir des publics en situation de handicap, une exposition de panneaux sur les auxiliaires du jardin répartie dans les commerces du centre-ville avec l’Union des commerçants et bien d’autres encore. En parallèle, la commune propose dans le cadre de cet ABC un programme d’animations nature chaque année en s’appuyant notamment sur des évènements nationaux comme la semaine des alternatives aux pesticides, (le jour de la nuit) et bien sûr la fête de la nature.
Nous avons également proposé des temps de sciences participatives comme par exemple l’inventaire participatif des hérissons, des écureuils, des mares,… et des concours photos sur différents thèmes naturalistes. Des données naturalistes nous sont ainsi remontées et contribuent à une meilleure connaissance de la biodiversité locale tout en sensibilisant les habitant.e.s à la biodiversité ordinaire et si proche de chez eux.
Par ailleurs, nous avons concrètement impliqué les exploitants agricoles et autres propriétaires fonciers pour la réalisation des inventaires naturalistes sur leurs parcelles (prairies, mares et bocage) et l’acquisition de connaissances.
Répartis en petits groupes de travail de 3 à 4 personnes, les apprentis réalisent chaque année des inventaires d’espèces, d’habitats et des actions de communication et d’éducation à la nature.
Le lycée agricole est également très impliqué dans l’ABC de Saint-Aubin-du-Cormier et plus particulièrement le CFA La lande de la rencontre avec la formation BTS Gestion et protection de la nature (formation délivrée en alternance). Plusieurs membres de l’équipe pédagogique font partie du comité de pilotage et du comité technique et mettent à disposition leur expertise naturaliste et pédagogique dans le cadre de cet ABC. De plus, chaque année, des projets sont confiés aux apprentis en formation soit en réponse à des commandes de la part de la commune, soit à leur initiative puisque cela fait partie de leur programme de formation. Ainsi, répartis en petits groupes de travail de 3 à 4 personnes, les apprentis réalisent chaque année des inventaires d’espèces, d’habitats et des actions de communication et d’éducation à la nature. Très concrètement, cela a permis de réaliser l’inventaire des mares et points d’eau de la commune, l’inventaire des batraciens, l’inventaire des haies ou encore l’inventaire des rapaces. Par ailleurs, d’autres partenariats ont vu le jour tels que le partenariat avec Agrocampus Ouest via la formation d’ingénieurs agronomes spécialisés en environnement ou encore avec l’université de Rennes 1 via l’équipe scientifique de l’Observatoire Participatif des Vers de Terre (OPVT) pour l’inventaire des vers de terre sur les parcelles agricoles et les espaces publics.
Association Fête de la Nature : Avez-vous des répercussions positives de vos actions ?
Même si ces données restent anecdotiques, la dynamique d’ABC a permis de mobiliser des personnes qui ne s’étaient pas encore impliquées sur ces questions de biodiversité locale et certain.e.s y ont pris goût !
A ce jour, plusieurs habitants et agriculteurs ont apporté leur contribution en transmettant notamment leurs observations naturalistes, en plus de participer à des temps de sensibilisation et d’animation nature. Et même si ces données restent anecdotiques, la dynamique d’ABC a permis de mobiliser des personnes qui ne s’étaient pas encore impliquées sur ces questions de biodiversité locale et certain.e.s y ont pris goût ! Par ailleurs, les données acquises via l’ABC commencent à nourrir les débats au sein des instances et des enjeux tels que la préservation des haies et du bocage, du patrimoine arboré ou encore la restauration de milieux aquatiques sont davantage intégrés dans les projets d’aménagement et de développement de la commune. Au fur et à mesure de l’avancement de l’ABC et des actions de formation et de communication menées à destination des agents techniques de la commune, je constate également une réelle évolution de leurs pratiques en faveur de la biodiversité locale dans la gestion des espaces publics, en particulier des espaces verts mais aussi des espaces de jeux.
Association Fête de la Nature : Quel message souhaitez-vous faire passer pendant la Fête de la Nature ?
En lien avec le titre de l’édition de cette année « Prenons-en de la graine », nous avons choisi de proposer un programme d’animations sur le thème des arbres. En effet, comme dans d’autres territoires, l’acceptation de l’arbre en ville mais aussi en campagne n’est pas toujours évidente et l’arbre est parfois perçu uniquement comme générateur de désagréments : feuilles qui bouchent les gouttières, sève qui salit la voiture, ombrage sur la maison… Notre objectif est donc de faire changer les regards et mettre en lumière les nombreux services éco-systémiques de l’arbre. L’arbre fait partie de notre patrimoine, il est à la fois mémoire et ressource. Il accueille une biodiversité riche et constitue un élément essentiel dans les continuités écologiques. Les arbres en ville rendent aussi des services de régulation et jouent un rôle important dans le confort thermique de la ville, dans la capacité de stockage du carbone, dans l’infiltration des eaux pluviales, dans la captation de certains polluants… Par l’ombrage qu’ils apportent, et le phénomène d’évapotranspiration, les arbres sont de puissants régulateurs du climat urbain et un formidable outil de lutte contre le changement climatique. Il est important de montrer que chacun.e peut avoir un rôle dans la préservation de ce patrimoine arboré que ce soit sur l’espace public ou sur l’espace privé.