La parole à Élodie Blanquet, actrice de la biodiversité

Élodie Blanquet, animatrice nature pour l’association ADENA, gestionnaire de la réserve naturelle du Bagnas, nous présente les plans de gestion de la réserve afin de préserver la biodiversité d’une zone humide du littoral méditerranéen. Prenons-en de la graine !
Comment est née la réserve naturelle du Bagnas ?
La réserve est née de la pression de l’Homme sur la nature. Ce territoire a été exploité pour les activités humaines depuis l’époque romaine, utilisé entre autres comme zone de pêche et de chasse au Moyen-Âge, comme salins, vignoble ou bien encore pisciculture. L’actuelle réserve naturelle du Bagnas a toujours eu à faire à la main de l’Homme, du fait de sa richesse biologique.
À l’époque où le Cap d’Agde s’est construit, où toutes les stations balnéaires du Languedoc-Roussillon et du pourtour méditerranéen se sont développées, cette zone riche a dû faire face à une pression touristique. Le projet de construction d’un parc d’attraction à la place de la réserve a fait s’éveiller les consciences des habitants de la région qui se sont battus pour sa préservation en se regroupant au sein d’une société de protection de la nature qui est aujourd’hui devenue l’ADENA. La zone a été reconnue comme étant un espace à forts enjeux de biodiversité. En 1983, la réserve naturelle nationale du Bagnas est créée. Petit à petit, le format de la réserve naturelle comme espace protégé a été intégré et accepté par les acteurs locaux et les riverains.
L’association ADENA est gestionnaire de la réserve depuis ses débuts. Son action passe par l’élaboration et la mise en place d’un plan de gestion.
Quels sont les grands principes d’un plan de gestion ?
Pour élaborer un plan de gestion efficace, il est nécessaire de faire un état des lieux afin de définir les enjeux et les menaces du site. Cette étape est indispensable pour définir l’objectif principal du plan de gestion. Notre objectif principal sur la réserve est de conserver la diversité des milieux naturels nécessaires au maintien de la biodiversité représentée. Ainsi, l’écriture du plan de gestion se fait dans ce sens. Il faut ensuite définir les actions à mener et les indicateurs qui vont nous permettre de vérifier que les actions mises en place fonctionnent. Certaines espèces font partie intégrante de ces indicateurs.
Anticiper les conséquences des actions est un axe essentiel d’un plan de gestion.
Afin de mieux appréhender les conséquences que pourraient avoir les futures actions, des études préalables pour voir si le milieu peut convenir aux espèces sont menées. Certaines réintroductions d’espèces n’ont pas fonctionné car il n’y avait pas eu ce travail de fait. Ainsi, pour la cistude d’Europe aujourd’hui présente dans la réserve naturelle du Bagnas, il a fallu vérifier si elle était encore présente sur le site, si le lieu pouvait l’accueillir, pour ensuite créer un climat favorable lui permettant d’évoluer à son rythme et de s’adapter. Anticiper les conséquences des actions est donc un axe essentiel d’un plan de gestion.
Finalement, un plan de gestion c’est savoir se poser les bonnes questions. Il faut savoir ce que l’on souhaite obtenir à la fin du plan de gestion, donc avoir un objectif clair en tête et se demander quelles actions sont à mettre en place pour atteindre cet objectif.
Zoom sur une action phare : la réintroduction de la Cistude d’Europe
Le suivi de la cistude d’Europe, tortue emblématique des zones humides et du littoral méditerranéen, fait l’objet d’actions spécifiques inscrites dans le plan de gestion. Présente sur la plupart des zones humides du littoral méditerranéen, elles ont progressivement disparu du fait de l’assèchement des sols, de la pollutionet bien d’autres facteurs… Sa répartition fragmentée sur le littoral ne permettait plus autant de connexion entre les populations et le brassage génétique nécessaire à la survie de l’espèce. En réintroduisant cette espèce sur plusieurs sites, l’idée était de recréer un corridor écologique afin de favoriser une circulation entre les différentes populations, les cistudes pouvant se déplacer et se rencontrer plus facilement d’un lieu à l’autre.
Mais pour ce faire, un diagnostic de sa présence ou non a été réalisé sur la réserve du Bagnas. En étudiant le fonctionnement de la réserve et en constatant que le milieu pouvait correspondre aux exigences écologiques de la Cistude d’Europe, une double réintroduction, en 2008, puis en 2012, a été menée. Il n’y a pas eu d’aménagements spécifiques. Une zone de réintroduction correspondant au mieux a été identifiée au sein de la réserve.
Dès lors, il s’agit ensuite de faire un suivi de l’espèce par la méthode CMR (Capture-Marquage-Recapture) tous les 5 ans pour voir comment la population évolue. En 2015, on estimait cette population de Cistude d’Europe à 45 individus tandis qu’en 2020, elle atteint les 80 individus. De plus, cette année, l’augmentation du nombre d’individus s’accompagne de la capture d’individus subadultes (jeunes de 3 à 5 ans), indicateur, a priori, d’une reproduction sur site. Le lieu semble donc adapté à la nidification. L’idée, désormais, est d’arriver à repérer les sites de ponte afin de les mettre en défens pour favoriser le succès de reproduction.
Ce suivi de population semble montrer que la réintroduction a fonctionné. Cette évolution positive témoigne également des conditions favorables que propose la réserve.
Quels changements visibles ont eu ces actions menées dans le cadre du plan de gestion sur la faune et la flore ?
Concernant l’avifaune,148 espèces d’oiseaux fréquentent régulièrement la zone et jusqu’à 271 ont été observées sur site, un nombre assez conséquent pour un si petit espace. On trouve également 15 espèces de reptiles dont la cistude d’Europe. On a découvert il y a peu de temps que la loutre était apparue dans la réserve, revenue par le fleuve de l’Hérault, signe de la bonne qualité de l’eau. En termes d’espèces végétales, 400 espèces différentes ont été validées.
Récemment, des espèces à fort enjeu ont été inventoriées : deux bryophytes (mousse), une algue verte et une plante aquatique protégée au niveau national ont été repérées dans les étangs. Si de telles plantes se développent c’est qu’un enjeu est à intégrer dans le cadre du plan de gestion et va faire l’objet d’un suivi. Un suivi consiste en un diagnostic de l’état de la population d’une espèce présente sur le site à un moment donné. Plusieurs types de suivis peuvent être menés dans le cadre des plans de gestion. Cela permet de relever des données intéressantes afin de voir si la réserve évolue positivement.
Un autre suivi (...) a permis de comptabiliser 16 couples de Hérons pourprés nicheurs sur la réserve cette année.
Par exemple, un suivi des passereaux paludicoles, petits oiseaux de la roselière (« forêt » de roseaux phragmites) est réalisé dans le cadre du plan de gestion. Un autre suivi, mené par un de nos partenaires, a permis de comptabiliser 16 couples de Hérons pourprés nicheurs sur la réserve cette année. Ces oiseaux migrateurs sont inféodés aux roselières. Le suivi de la Rémiz penduline, un autre oiseau paludicole, a également permis de voir que plusieurs centaines d’individus ont fréquenté la réserve l’automne dernier pendant la période de migration. Le Bagnas représente donc un site majeur pour cette espèce migratrice. Ainsi, tous ces suivis donnent des indications sur la structure de la roselière de la réserve et sur son état.
Le suivi de tous les indicateurs, définis au préalable dans le plan de gestion, permet de constater à un moment particulier l’état du site ou d’évaluer les actions menées. Si les populations de certaines espèces à enjeu particulier commencent à diminuer sur la réserve, cela peut parfois indiquer que les conditions idéales d’accueil ne sont plus réunies et/ou que la gestion du site n’est pas faite de manière optimale. Toutes les actions mises en place sur le site sont liées entre elles car l’une vient vérifier l’autre, l’une vient permettre l’autre… l’objectif est donc de maintenir cet espace afin qu’il soit le plus accueillant possible pour la faune et la flore.
Quel message aimeriez vous faire passer pendant votre manifestation Fête de la nature ?
Cette année, pour la Fête de la Nature, nous aimerions faire une animation « Dans la peau d’un gestionnaire de réserve » où les participants pourraient visiter la réserve sous un autre angle que celui du simple visiteur, afin de comprendre comment les gestionnaires interviennent sur la réserve.
Nous aimerions montrer au public les effets positifs de la démarche de « mise sous cloche de la biodiversité » et leur faire comprendre la nécessité de cette démarche dans certains contextes. Le but est de montrer que selon le territoire dans lequel on se situe, la biodiversité a parfois besoin d’espaces préservés, où le dérangement est limité, pour se développer. La réserve en est la preuve ! Malgré l’omniprésence de l’urbanisation autour de la réserve, la surfréquentation touristique du littoral l’été, ce site accueille encore une avifaune exceptionnelle. Cela montre bien que ce qui est mis en place est utile et permet de maintenir des conditions d’accueil favorables pour la faune et la flore. La Fête de la Nature sera donc l’occasion de montrer comment évolue un espace naturel lorsqu’il n’est pas trop dérangé par l’Homme.