La parole à Julien Eidenschenck et Anthony Chuet, acteurs de la biodiversité
Julien Eidenschenck, chef de l’Unité Agroécologie et du Plan national d’actions Hamster à l’Office français de la biodiversité et Anthony Chuet, soigneur au Naturoparc, nous présentent les actions menées dans le cadre de la réintroduction du grand hamster, une espèce peu connue du public. Prenons-en de la graine !
Pourquoi le grand hamster a-t-il peu à peu disparu ?
Au début des années 70, on estime qu’il y avait presque un million d’individus sur plus de 300 communes en Alsace. Cette espèce était tellement abondante qu’elle faisait des dégâts dans le milieu agricole et des campagnes de limitation des effectifs ont été mises en place.
C’est à la suite de ces campagnes que le déclin du grand hamster a commencé, combinées à une diminution des parcelles cultivées en polyculture. Au début des années 90, le nombre d’individus avait fortement diminué pour atteindre moins de 10 000 en 2000.
1972 : présence dans 329 communes
1992 : présence dans 201 communes
2000 : présence dans 56 communes
2012 : présence dans moins de 20 communes
L’urbanisation cause aussi beaucoup de dommages aux hamsters. L’Alsace étant la 3ème région la plus densément peuplée de France, il y a un fort développement des infrastructures routières et de l’urbanisation, séparant ainsi de manière progressive les populations de hamsters les unes des autres par des axes routiers infranchissables. Certaines populations ont même disparues sous l’effet de la construction.
Le principal facteur de menace restait la raréfaction de zones de cultures diversifiées adaptées en plaine d’Alsace au profit de la monoculture de maïs.
Depuis quelques temps, le changement climatique est aussi suspecté de devenir un facteur aggravant car il modifie les cycles des cultures. Des moissons précoces peuvent entrainer une rupture de l’alimentation des rongeurs beaucoup plus tôt dans l’année. Tous ces facteurs ont conduit à la baisse de répartition de l’espèce et aussi une baisse de densité des populations de hamsters.
En 1993, l’espèce est protégée. Le principal facteur de menace restait la raréfaction de zones de cultures diversifiées adaptées en plaine d’Alsace au profit de la monoculture de maïs, qui représente aujourd’hui près de 50 à 60% des surfaces cultivées. Les autres cultures de printemps que sont la betterave et la pomme de terre n’offrent pas suffisamment de couverture végétale au printemps. Cela rend l’animal sensible à la prédation lorsqu’il sort en avril avec beaucoup de mortalité alors que c’est à cette époque que la reproduction démarre. Le manque de diversité végétale pose aussi un problème en terme de qualité de milieux de vie du hamster car cette espèce est très sensible aux carences alimentaires et cela rentre en compte dans la reproduction et la survie de l’espèce.
Pourquoi le choix de la réintroduction ?
Le nombre d’individus présents sur le territoire est de plus en plus faible. Il y en a tellement peu qui restent sur chaque parcelle que la moindre fluctuation en terme de qualité de l’habitat, de prédation ou de climat peut faire disparaître des populations. Il est donc difficile pour la population de hamsters de s’accroître seule. C’est pourquoi le renforcement et les lâchers d’animaux d’élevages sont apparus indispensables pour restaurer les populations sauvages aujourd’hui.
Quels acteurs sont impliqués dans cette action ?
De nombreux acteurs sont concernés par la réintroduction du grand hamster. Historiquement, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), devenu une composant de l’Office français de la biodiversité (OFB) en janvier 2020, était en charge à la fois de la stratégie de renforcement des populations et de la mise en œuvre. Depuis le début de l’année, la mise en œuvre opérationnelle des stratégies de renforcement des populations, notamment l’élevage, ont été confiées à Naturoparc, en laissant l’OFB se concentrer sur les études et la recherche afin d’améliorer les protocoles d’élevage et de lâchers.
Les agriculteurs sont aussi des acteurs importants à prendre en compte dans la réintroduction du grand hamster.
Le Naturpoarc est un parc animalier qui a pour objectif la préservation et la découverte de la richesse du patrimoine naturel régional. Il mène des actions concrètes de conservation en s’impliquant dans l’élevage du grand hamster et dans la sensibilisation des publics.
Les agriculteurs sont aussi des acteurs importants à prendre en compte dans la réintroduction du grand hamster. Des contrats ont donc été négociés en 2013, avec des groupes d’agriculteurs pour qu’ils s’engagent à cultiver au moins 26% de cultures favorables à l’espèce, avec la non récole de céréales pendant au moins deux ans et la mise en place de clôtures anti-prédation. La sensibilisation joue un rôle majeur pour arriver à convaincre ces groupes de l’intérêt de l’espèce.
Quelles actions ont été menées pour la réintroduction du grand hamster ?
1993 : le grand hamster est considéré comme une espèce protégée
2000 : plan d’action afin de travailler en collaboration avec les agriculteurs et améliorer la qualité de l’habitat
2003 : plan d’action pour renforcer les populations
2012 : zones de protection de l’habitat (constructions interdites)
Aujourd’hui, on estime la population de grands hamsters en captivité a 900 hamsters (trois élevages). C’est une espèce difficile à élever qui demande beaucoup de patience et de persévérance. Tout d’abord, la cohabitation entre individus n’est possible que pendant période de reproduction. Mais cette reproduction ne se limite pas à la rencontre entre un mâle et une femelle. Dotés d’un fort caractère, il faut gérer la première rencontre, voir si la femelle est réceptive… De nombreux paramètres sont à prendre en compte : la qualité de l’hibernation par exemple peut avoir une incidence sur la reproduction qui a lieu quelques mois plus tard.
Le Naturoparc prend soin de se rapprocher des conditions naturelles de l’espèce en les adaptant pour que les individus soient préparés aux lâchers. La gestion du stress est également importante pour cette espèce. L’objectif ici n’est pas d’avoir le plus gros élevage possible mais d’essayer de mettre en place des actions afin d’élever des animaux en meilleure santé pour leur permettre d’être réintroduits et d’avoir une chance dans la nature. Pour cela, les contacts avec l’espèce sont minimisés au maximum. Afin de permettre une meilleure adaptation de l’animal à son environnement, le Naturoparc tente également de fournir une alimentation plus naturelle, en abandonnant les aliments déshydratés ou en supprimant progressivement ses apports en eau liquide. Le changement brutal entre les conditions d’élevage et de lâché peut être facteur de stress pour l’animal. Il est donc important pour eux de favoriser au mieux les conditions naturelles du hamster lors de son élevage.
Aujourd’hui, le nombre de jeunes hamsters relâchés par Naturoparc varie chaque année entre 600 et 800.
Lorsqu’ils sont relâchés, les animaux sont déplacés sur site. Les parcelles sont préalablement sécurisées grâce à une battue à blanc afin de repousser tous les prédateurs terrestres comme le renard. Par la suite, le site est électrifié pour éviter que d’autres prédateurs n’y viennent. Lâchés au niveau des champs dans des terriers d’accueil préalablement creusés, cela permet à l’animal de s’y réfugier les première heures ou le premiers jours afin d’augmenter sa sécurité et limiter ses chances de prédation. On incite donc l’animal à rester le pus longtemps sur place en lui mettant un apport en nourriture.
En plus de l’élevage de hamster, des actions de sensibilisation sont nécessaires. Il est important d’informer les agriculteurs et la population sur le grand hamster, encore considéré comme un nuisible jusqu’en 2010 par les agriculteurs et très peu connu des publics. En accueillant 130 000 visiteurs par an, Naturoparc y contribue à travers l’organisation de manifestations occasionnelles visant à exposer les enjeux de préservation de l’espèce.
Quels changements visibles sur la biodiversité, le paysage et le milieu ont eu ces actions ?
Dans le milieu agricole, le nouveau cahier des charges a beaucoup changé le paysage depuis 2018. En effet, on demande maintenant aux agriculteurs de mettre en place des couverts d’agriculture plus tôt dans l’année, avec au moins trois espèces différentes. Désormais, on peut trouver une diversité de fleurs et de couverts végétaux tôt dans l’année. Une plus longue durée du couvert végétal aura des impacts positifs sur d’autres espèces et également en terme de qualité du sol. Les mesures favorables aux hamsters sont aussi bénéfiques à la biodiversité dans son ensemble.
Redonner aux agriculteurs la fierté de démontrer qu’ils peuvent avoir des pratiques compatibles avec la biodiversité était un leitmotiv. Maintenant, les habitants sont agréablement surpris de voir de nouveau une forme de diversité dans le paysage.
Quel message aimeriez-vous faire passer lors de votre manifestation pour la Fête de la Nature ?
Même si les derniers lâchers de hamsters se terminent en juin, permettre au public de se rendre directement sur les sites de lâchers nous paraît important afin de continuer à mener des actions de sensibilisation. Les visiteurs pourront découvrir les changements paysagers du milieu agricole et auront peut-être la chance d’observer d’autres espèces qui recolonisent les champs au début de l’automne !