De la prison aux retrouvailles dans l'herbe
Lors de la 14e édition de la Fête de la Nature, un groupe de personnes détenues a pu participer à une sortie nature en compagnie de leurs proches : une manifestation coup de cœur de l’association Fête de la Nature ! Jean-Louis Esteva et Cedric Dauphin, tous deux conseilleurs d’insertion et de probation au centre pénitentiaire de Perpignan, reviennent sur cette expérience qui s’est révélée extrêmement positive à bien des égards.
Quelles sont les raisons qui vous ont motivés à organiser une sortie à l’attention des personnes détenues pour la Fête de la Nature ?
La Fête de la Nature s’inscrit parmi les actions sur lesquelles nous travaillons régulièrement au sein du SPIP. C’est d’abord un temps qui nous permet de sortir les personnes du cadre carcéral tout comme les projets que nous menons dans le domaine de la culture ou celui du sport par exemple. Cela fait partie de notre culture : nous cherchons à mettre en place ce type d’initiatives notamment pour préparer à la sortie et à la réinsertion dans la société.
Il faut garder en tête que ces personnes sont condamnées mais elles sont surtout condamnées à sortir, cette transition doit être préparée.
A cette première raison vient s’ajouter notre volonté de travailler sur la thématique environnementale au sein de l’établissement pénitentiaire. Cet enjeu nous tient à cœur, même au sein des équipes salariées. C’est intéressant pour nous car même si la prison est un univers fermé, les problématiques environnementales viennent à se poser comme en extérieur. Nous avons une faune locale en prison, des oiseaux, des chats, des pigeons… on peut être amené à se demander comment on peut améliorer nos pratiques, cohabiter avec cette biodiversité.
La thématique avait déjà été évoquée avec certains personnes détenues puisque nous avions eu l’occasion d’expérimenter des opérations de nettoyage de plages dans le cadre de travaux d’intérêt général. On souhaitait donc aller plus loin en associant des personnes motivées à la mise en place d’une action pour la nature qui permettait en même temps de leur apporter de nouvelles connaissances sur leur environnement.
Comment vous est venue l’idée d’y associer les familles ?
Le projet initial était assez ambitieux puisque l'idée était d’organiser une fête ouverte à tous dans un milieu naturel, pas uniquement cloisonné à la détention. On trouvait intéressant que le public et les personnes détenues soient dans la même dynamique, qu’ils partagent un moment dans la nature en tant que citoyens. Parce que détenus ils sont mais citoyens il restent. On aurait voulu qu'ils soient même acteurs de certains temps de découverte de manière à démystifier leur position de détenus, faire en sorte que le public s'intéresse un peu à ce qui se passe dans les prisons, qu'il les voit comme des individus et non pas seulement comme des condamnés, même s’ils le sont et qu'il faut pas le nier. La crise sanitaire est malheureusement passée par là mais nous avons tenu à garder une forme d’ouverture en conviant les familles.
C’est un point important qui a guidé nos actions tout au long de la préparation : le travail sur la parentalité, c’est à dire le maintien des liens entre les parents incarcérés et leurs enfants.
Dès le début, la Fête de la Nature nous a paru être une démarche intéressante pour associer les enfants et les compagnes à une promenade découverte de la nature qui permettait de sortir du contexte du parloir. Pour les familles ce n’est pas évident d’être confrontées au milieu carcéral, surtout pour les enfants qui ne construisent pas toujours une image positive de leur père. Leur permettre de passer du temps avec lui dans un autre contexte, en pleine nature, contribue à changer les regards. D’autant plus que c’est un moment pendant lequel le père tient à montrer l’exemple, il adopte un comportement responsable. C’est aussi pour cette raison que nous avions choisi d’associer le ramassage de déchets à la découverte de la nature : il s’agissait de leur donner la possibilité d’accomplir une action positive en compagnie de leur famille et que les enfants puissent se dire « papa peut avoir valeur d’exemple, papa peut faire des choses bien aussi et il fait des choses bien avec moi ».
Dans cette même logique, nous tenions à faire travailler les personnes détenues en amont de la sortie à la confection d’un outil adapté à la découverte de la nature et au partage entre parents et enfants. L’association Les petits débrouillards avec qui nous avons travaillé nous a alors proposé la fabrication d’aspirateurs à insectes deux semaines avant l’événement. Cette idée nous a tout de suite intéressés puisqu’elle permettait de rendre acteurs de la découverte, elle avait un côté ludique adapté à la présence des enfants et offrait la possibilité de leur laisser l’objet en souvenir de cette journée. On ne s’est pas trompé puisque tous se sont prêtés au jeu avec leurs enfants. C’était hallucinant de les voir à quatre pattes dans l’herbe en train de chercher les petites bêtes pour les aspirer dans des bocaux !
Avez-vous constaté un intérêt pour la découverte de la nature chez les participants ?
L’intérêt était bien réel, déjà parce que les participants ignoraient totalement l’existence du lieu où s’est déroulée la sortie qui était pourtant situé à 15 minutes de chez eux. Ils n’imaginaient pas qu’il puisse y avoir à deux pas de la ville un tel endroit. Cela les a fait quitter leur environnement urbain pour un environnement plus bucolique. C'était aussi la première fois pour certains qu'ils faisaient une promenade dans un tel milieu où ils ont pu voir des oiseaux marins, des tortues, des chevaux… Ils s’émerveillaient par exemple à la découverte d’une peau de couleuvre qui avait mué.
Et puis marcher dans la boue avec leurs enfants pour certains ça ne leur était jamais arrivé !
On a senti chez eux une réelle envie d'y revenir, pas forcément sur ce lieu précis mais d’aller vers l’extérieur, de quitter la ville. Dans leur vie d'homme, pour la suite, une fois qu'ils seront sortis ils auront certainement envie de revivre ce moment de partage avec leurs enfants. Par cette expérience, on leur ouvre de nouvelles perspectives d’activités à faire en famille.
Cette Fête de la Nature a-t-elle présenté d’autres avantages ?
Sortir ponctuellement les personnes détenues du milieu carcéral, de leur milieu habituel, constitue un outil de travail à part entière. Sur le plan de l'accompagnement, le fait d'avoir été présents avec elles pendant cette journée en extérieur nous aide à mieux cerner leur personnalité, l’observation est extrêmement riche et nous sert dans le cadre d’aménagement de peine par exemple. Lorsqu’on les sort de leur contexte habituel ils font tomber certaines barrières. Cela nous permet ensuite de ressortir les phrases prononcées en présence de leurs enfants, des promesses faites, des retours positifs exprimés après la sortie… Bien plus que l’organisation d’un événement de sensibilisation à la nature, il s’agit pour nous d’une précieuse boite à outils qui nous sert dans notre pratique de suivi éducatif et social au quotidien.
Comment avez-vous appréhendé cette expérience en interne, au sein des équipes impliquées ?
Même si la préparation de l’événement prend du temps, on a eu la chance d'avoir pu constituer une équipe formidable qui n’a fait que grossir au fur et à mesure de l’avancée du projet. Dans l'équipe chacun d'entre nous a tenu un rôle déterminant pour l’aboutissement de cette initiative. Finalement, c’était très intéressant de se dire qu’on peut construire des choses ensemble, on peut compter les uns sur les autres dans la mesure où tout le monde va dans le même sens.
Cette Fête de la Nature a aussi été un moyen pour le personnel de vivre la profession autrement. C’est bien différent de nos journées sous les miradors, nous en avons profité tout autant que les participants et cela permet de véhiculer une image différente de nos métiers auprès de la population et des partenaires.
Travailler quotidiennement dans le cadre pénitentiaire n’est toujours chose aisée, cette expérience gratifiante a donc été vécue comme un grand bol d’air frais !
Comment se sont construits les partenariats avec les acteurs associatifs qui ont animé cette journée ?
Nous n’avons pas eu à construire de nouveaux partenariats expressément pour la Fête de la Nature puisque nous nous sommes appuyés sur de précédentes collaborations menées dans le cadre des travaux d’intérêt général par exemple (association CITECO 66). Les recherches nous avaient pris un petit peu de temps mais les relations établies se poursuivent toujours sur de nouveaux projets finalement !
En revanche, la Fête de la Nature nous a permis d’en créer de nouvelles. Nous avons notamment dû rentrer en contact avec la mairie de Canet-en-Roussillon et avons pu nouer des liens avec la métropole Perpignan Méditerranée par exemple. Avec le recul, nous voyons davantage encore l’intérêt d’organiser un événement comme la Fête de la Nature : les relations en amenant d’autres, cela nous a fait naître de multiples opportunités pour la suite, pour monter de nouveaux projets en milieu carcéral ou en dehors.
Peut-être que c'est un peu convenu mais vraiment il faut aussi remercier tous ceux qui ont rendu cette Fête de la Nature possible : les magistrats et la direction ont joué le jeu, le financement a été obtenu sans difficulté, cet événement a impliqué plein de gens que nous n'avons même pas eu à convaincre. Le thème de la nature fédère les gens, ce n'était pas le cas il y a 40 ans, mais aujourd'hui lorsqu'on présente l'objectif qui est d'améliorer la connaissance de la faune et la flore locale, il y a déjà un préjugé favorable.